LE PARISIEN - 18 septembre 2020 - Sébastien Thomas
Elle pourrait être sa petite-fille, il pourrait être son grand-père. Et pourtant, ils sont juste colocataires... Bienvenue chez jacques, 90 ans, installé à Louveciennes (Yvelines), qui accueille depuis le début du mois Soline, 27 ans, étudiante. Ils se sont rencontrés grâce à la plateforme Xenia*, une sorte de Tinder intergénérationnel de la colocation. La jeune startup, créée en juin, a de sacrées ambitions, puisqu'elle espère permettre à 400 duos de se rencontrer d'ici la fin de l'année. Elle a notamment créé une interface pour favoriser la rencontre entre colocataires ayant des goûts en commun.
En termes de colocation, Jacques n'est pas un novice. "J'ai eu mon petit-fils à la maison pendant deux mois car il était en contrat d'apprentissage et il avait besoin d'un toit proche de l'entreprise qui était à Mantes-la-Jolie, raconte-t-il. Il s'occupait des courses et de la cuisine, je dois avouer que ça m'a bien aidé". La présence d'un proche lui a permis aussi de surmonter la perte de sa femme, décédée à l'hôpital durant le confinement. "Elle était dans un établissement spécialisé et j'allais la voir très régulièrement. Ces visites faisaient partie de mon quotidien. Aussi, quand elle a disparu, j'ai ressenti un grand vide."
Sa fille décide alors de lui trouver un colocataire. Elle passe par Xenia, et c'est ainsi que, quelques mois plus tard, Soline a débarqué. Au début, jacques était un peu circonspect. "J'ai mon univers, mes habitudes, c'est toujours délicat d'accueillir un étranger chez soi." Mais la bonne expérience avec son petit-fils l'a fait réfléchir. "Et puis, je me disais qu'on ne me proposait pas n'importe qui", se rassure-t-il.
Pour Soline, l'aventure n'est pas nouvelle non plus. "J'ai habité près d'un an chez mon grand-père à Paris, l'année dernière, quand j'ai repris mes études en architecture, détaille-t-elle. Mais il a été malade durant le confinement et placé dans une maison de repos. Son appartement a été revendu, j'ai donc dû trouver une solution."
Grâce à ses premières études en japonais, elle gagne un peu d'argent en traduction. Mais le confinement vient tout bouleverser. 'Il fallait que je trouve un logement pas cher qui m'évite de travailler à côté car les études d'architecture, ça demande beaucoup de travail, soupire-t-elle. Mon école étant à Versailles, Louveciennes, ça me convient bien." Aujourd'hui, elle paie 200 € de loyer par mois et dispose d'une chambre et d'une salle de bains à elle. Ce qui est un prix imbattable en Ile-de-France. Elle peut même se servir du bureau quand son propriétaire de l'utilise pas. Avec 130 m2 disponibles, elle ne manque pas de place dans l'appartement.
Lors de leur première rencontre, le duo a beaucoup parlé. Et a établi des règles. Car, même si la plateforme essaie de mettre en relation des gens qui ont des goûts communs, les garde-fous sont indispensables. Il y a d'abord une charte qui rappelle ce que chacun peut ou ne peut pas faire. Ensuite, rien n'empêche d'affiner ces règles.
La plus importante : interdiction de ramener quelqu'un à la maison, copain ou copine. Pas de cigarette non plus. En contrepartie, pas de couvre-feu non plus. Et il faut passer un minimum de temps ensemble. "Nous mangeons souvent ensemble de soir, elle me raconte sa journée, sourit Jacques. Pour moi, c'est vraiment une ouverture sur le monde, car je ne sors pas beaucoup." Le nonagénaire apprécie également une présence féminine. "C'est plus facile pour la conversation qu'avec un homme, analyse-t-il. Et puis il y a un côté un peu aventure, car je ne sais pas trop comment tout cela va évoluer. C'est un peu mon challenge." Il y voit aussi des avantages. "Le fait de partager ces moments avec Soline, ça m'aide à rester agile intellectuellement parlant, s'enthousiasme-t-il. Et puis, si j'ai un gros pépin, je sais que je ne suis pas seul, c'est une véritable sécurité pour moi."
Soline apprécie aussi d'avoir été mise en relation avec quelqu'un qui partage ses goûts. "Sa fille vit au Japon et moi j'y ai passé deux ans, on aime tous les deux le cinéma et la peinture, donc a toujours des choses à se raconter le soir, assure la jeune femme. Alors certes, aller à Paris, c'est un peu l'aventure et ne pas pouvoir recevoir du monde dans cet appartement, ça peut paraître frustrant, mais ce n'est pas grand-chose comparé aux avantages."
L'étudiante met aussi en avant le fait qu'on ne lui réclame pas de garant. "En région parisienne, c'est vraiment rare." Et si la présence peut rassurer Jacques en cas de pépin de santé, il y a des limites clairement établies. "Je ne suis pas aide-soignante, précise-t-elle. Mais je peux prévenir les secours." bref, une situation gagnant-gagnant pour tout le monde.
09/10/20
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